Un point sur le Big Brother à la française |
————— 19 Avril 2015 à 13h45 —— 47740 vues
Un point sur le Big Brother à la française |
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Si vous êtes du genre à surveiller l'actualité sur le web, vous n'êtes certainement pas sans savoir que le gouvernement français désire faire de même et à plus grande échelle. Dans l'optique de protéger leurs citoyens, nos élus ont travaillé sur un projet de loi (dont les discussions ont abouti jeudi 16 avril, de nuit, avec seulement 30 députés pour valider la chose alors qu'ils sont 577 en tout) qui permettrait une fois mis en place à une commission de contrôle indépendante (la CNCTR, Commission Nationale de Contrôle des Techniques du Renseignement) d'analyser les Big Data circulant sur internet pour débusquer les terroristes en puissance.
Ca c'est pour faire très très simple. Si on utilise le terme Big Brother, personnage de fiction du livre 1984 de Georges Orwell, c'est que ce chef de parti et de gouvernement imaginaires qui surveille tout et tout le monde a vu son nom de nombreuses fois utilisé en cas d'atteintes aux libertés fondamentales d'individus ou de groupes. Lorsque les USA ont commencé à tout fliquer, on moquait leur Big Brother qui était comme une épée de Damoclès constamment pointée sur leur tête et leur rappelant qu'il faut filer droit. Aujourd'hui la moquerie semble passée, puisqu'en France il se pourrait qu'un type d'analyse très proche soit mis en place.
Le projet français se base sur un algorithme (donc une machine, pas un humain) qui trierait les Big Data (le flux de métadonnées qui circulent sur le net : qui est connecté, qui parle avec qui, qui consulte quoi, qui upload ou télécharge chez qui...) sans avoir d'accès direct au contenu. Mais cela suffit à dresser le profil d'une personne, savoir où il est, quelles sont ses habitudes, qui elle fréquente, où elle va, en fait ça peut même en apprendre plus qu'une écoute de son téléphone ou qu'une lecture de son courrier. Pour assurer d'avoir de quoi travailler en cas de doute sur une personne, d'énormes "boites noires" (la boite de Pandore comme l'a appelé Aurélie Filippetti qui semble avoir compris que ce genre de pratique a plus de défauts que de qualités) contiendraient les données des 10 ou 20 dernières années de vie numérique des personnes surveillées. Quand on connait le flux de données circulant chaque minute sur le réseau mondial, bonjour le prix du matos pour mettre tout cela en place.
Si on approfondit le truc et que l'on s'amuse à lire entre les lignes, on se rend vite compte que le but principal de la manœuvre est de rendre légale une chose qui est pratiquée depuis des années dans l'ombre (la France étant même un des pays les mieux outillés dans l'espionnage des autres pays, voir par exemple l'histoire Lybie/Amesys). Même si les renseignements généraux n'existent plus, il serait idiot de croire qu'un service n'est pas présent pour assister les services de sécurité français et, sans dérive, c'est un outil de protection qui a su faire ses preuves. Le gouvernement le reconnait d'ailleurs à moitié. Le dessinateur Vidberg (vous savez, celui qui fait des patates qui parlent) l'a d'ailleurs très bien expliqué dans ses dernières planches pour LeMonde.fr où il présente aussi de façon simple les dérives qui peuvent en découler.
Vous vous doutez certainement que ce genre de texte de loi (qui sera voté le 5 mai) en a fait grogner plus d'un et pas que des particuliers, mais aussi des sociétés et de gros acteurs du Web. Notre hébergeur OVH, qui participe comme nous au mouvement #NiPigeonsNiEspions, a même menacé de délocaliser ses services faces aux contraintes que cela engendrerait. Le parlement a d'ailleurs modifié quelques points pour que ça n'arrive pas. Vu qu'on n'a déjà presque plus d'industrie en France, il ne manquerait plus que les prestataires web se barrent. Ce projet de loi fait une nouvelle fois comprendre que nos représentants n'en ont que le nom et ne nous représentent pas vraiment, les particuliers se sont donc aussi mis à l'œuvre pour faire savoir leur mécontentement, une pétition Change.org tournant depuis le début de la semaine et d'autres actions de protestation (surtout via les réseaux sociaux ou sur des sites web comme le notre) ayant vu le jour.
Si c'est la sécurité nationale qui est mise en avant dans la nécessité d'un tel projet de loi, c'est la huitième fois que la France légifère sur le sujet, toujours contre l'utilisateur (vous vous rappelez de Perben, DADVSI, LCEN, Hadopi 1 et 2, Loppsi et compagnie ?) et allant même jusqu'à récemment forcer les FAI à couper l'accès à certains sites jugés illicites. Illicites pour qui ? Des majors pleines de fric qui refusent d'en perdre et qui ont certainement des contacts là où c'est nécessaire. Avec un bon gros flicage comme cette Loi Renseignement, on crée encore un nouveau moyen de faire du ciblage individuel et de transformer chaque citoyen en produit. Si les plus grosses boites du monde s'amusent à fliquer vos moindres faits et gestes (ça ne choque d'ailleurs personne que Microsoft, Google, Facebook ou Apple le fassent...), pourquoi le gouvernement s'en empêcherait-il ? Surtout que ça a l'air lucratif comme business !
Le premier argument avancé quant au besoin d'une telle loi est d'éviter de voir se reproduire les événements de janvier dernier, le second est de traquer les usages illégaux (la pédophilie étant brandie par de nombreux députés), mais dans la réalité l'utilisateur lambda sera fliqué alors que celui qui se cachait déjà (parce que ces gens-là n'agissent pas à découvert) continuera à le faire et trouvera même de nouveaux moyens de se protéger. Tant pis pour l'utilisateur lambda qui n'a rien à se reprocher, de toute façon d'après Bernard Cazeneuve, notre ministre de l'intérieur, la vie privée ne fait pas partie de nos libertés.
On ne va pas vous dire de tous descendre dans la rue le 5 mai (même si Pascal a un lot de torches et fourches de prêt au besoin), on sait que ça ne sera pas suivi et que de toute façon ça n'aurait pas d'impact. Mais il faut peut-être se réveiller au sujet de la sécurité des données et de l'intérêt d'avoir le droit à une vraie vie privée. Ce n'est pas parce que l'on n’a rien à cacher que cela donne le droit à tout un chacun de venir fouiner. Il y a une différence entre avoir l'esprit tranquille et donner sa vie en pâture, une différence entre être libre d'agir et pouvoir faire les choses sous le regard approbateur de la loi (ou d'une divinité), une différence entre vivre libre et avoir une longe autour du coup pour ne pas se perdre. Le gouvernement se doit de protéger ses citoyens, une démocratie nécessite de la sécurité pour que son peuple puisse s'exprimer, mais il ne faut pas oublier que les lois doivent être votées à la majorité et à la majorité populaire, pas celle d'une minorité d'élus arrosés pour bien penser. Si vous voulez commencer à faire bouger les choses, suivez l'excellent conseil de la Quadrature du Net qui invite à interpeller le député vous représentant pour lui faire savoir ce que vous pensez de cette loi et pourquoi il devrait ou ne devrait pas voter pour le 5 mai prochain. 30 se sont prononcés pour l'instant, à vous de motiver les 547 autres !
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