Du Bitcoin à l’IA : comment les fermes de minage GPU exploitent ce nouveau filon |
————— 16 Octobre 2024 à 18h00 —— 43973 vues
Du Bitcoin à l’IA : comment les fermes de minage GPU exploitent ce nouveau filon |
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Aller selon le vent ; cette expression résume assez bien l’attitude des anciennes sociétés de minage de cryptomonnaies depuis quelques mois. Bon nombre d’entre elles ont en effet saisi l’opportunité offerte par l’intelligence artificielle pour transformer leurs infrastructures et répondre à cette nouvelle demande. Avec à la clef, de gros profits et un avenir moins incertain.
Site de Core Scientific en Caroline du Nord
C’est la tendance que nous avons observée à travers plusieurs articles publiés ces derniers mois. Celui du Times notamment, daté de fin juin et au titre on ne peut plus clair (Why So Many Bitcoin Mining Companies Are Pivoting to AI), relate le basculement opéré par plusieurs sociétés de minage : elles ont entrepris de délaisser leur activité historique pour s’orienter vers la formation et le fonctionnement de systèmes d'IA. Ces nouvelles converties considèrent que ce domaine est à la fois plus stable et plus pérenne.
L’une des figures de proue de ce changement de cap est l’entreprise Core Scientific. Ce fournisseur d'infrastructure et d'hébergement blockchain était au bord de la faillite en 2022 à la suite du troisème krach du Bitcoin. L’entreprise a finalement décidé de louer une partie de ses infrastructures à des sociétés d’IA ; un choix à l’évidence payant.
En avril dernier, Adam Sullivan, PDG de Core Scientific, confiait au Times que « les entreprises d'IA faisaient des offres agressives pour l'utilisation des installations d'extraction de Bitcoin et qu’elles commençaient à acquérir des sites miniers à des prix bien supérieurs à ceux que les mineurs de Bitcoin sont prêts à payer ». Il ajoutait que les demandes émanant d'entreprises d'IA étaient « extraordinairement élevées, et nous considérons que ce marché représente notre meilleur débouché ».
Dans la foulée, le 4 juin, Core Scientific négociait un contrat pour allouer 200 mégawatts de GPU sur 12 ans à la startup IA CoreWeave. La société estime que cet accord va générer des recettes de plus de 3,5 milliards de dollars. De fait, depuis le début d’année, le cours de son action n’a cessé de grimper ; il a d’ailleurs retrouvé son niveau de 2022, d’avant crise. Résultat : Core Scientific a enregistré un revenu net de 210,7 millions de dollars au premier trimestre de cette année ; elle affichait une perte nette de 388 000 dollars à la même période en 2023.
De manière plus large, fin juin, Reginald L. Smith et Charles Pearce, deux analystes de chez JP Morgan, ont déclaré que la capitalisation boursière globale des 14 mineurs qu'ils suivent avait augmenté de 22 %, soit de 4 milliards de dollars, depuis l'annonce de Core Scientific. Jusqu'à présent, ces changements ont donc été bien accueillis par les investisseurs. De plus, le virage pris par les anciens mineurs est d’autant plus compréhensible qu’au-delà de l’entichement général pour l’IA, a priori parti pour durer, le quatrième halving du Bitcoin ayant encore diminué la rentabilité du minage. Outre Core Scientific, citons Bit Digital et Hut 8 comme d’autres sociétés minières s’étant diversifiées dans l'IA. Un fait qui n’aura pas empêché le cours du Bitcoin de repartir vers des sommets, pointant à plus de 67 800 $ US au moment de la parution de ce papier.
Certaines des raisons de cette reconversion des sociétés de minage sont explicitées ci-dessus : l’IA est perçue comme un marché d’avenir, à la fois plus lucratif et moins volatil que celui des cryptomonnaies ; vous l’imaginez, l’incertitude s’accorde mal avec la gestion de telles infrastructures. Surtout, pardonnez-nous pour la lapalissade, mais ces infrastructures existent, et sont par nature aux mains de sociétés de minage.
Nous ne vous apprendrons rien, les modèles d’IA générative sont extrêmement énergivores. On estime qu’une simple requête ChatGPT nécessite entre six et dix fois plus d'énergie qu'une requête Google standard (le Times donne un ratio de 1/10, un article de Goldman Sachs la fourchette ci-dessous, mais avec une illustration qui quantifie la requête Google à 0,3 Wh, et la requête GPT à 2,9 Wh).
Depuis le succès rencontré par ChatGPT à partir de la fin 2022, le nombre d’entreprises d'IA souhaitant entraîner et exécuter leurs propres modèles a explosé ; et donc la demande d’infrastructures aussi.
Or, rendre l’exploitation viable en partant de rien nécessite d’avoir accès à de vastes zones ; qui plus est, sur des sites ayant accès à un réseau énergétique solide (et idéalement bon marché), offrant des conditions environnementales, mais aussi climatiques et météorologiques, qui ne sont pas incompatibles avec le refroidissement de serveurs gourmands. Autant dire que l’accès à de tels édens pour centres de données devient de plus en plus compétitif. Ajoutez à cela le fait que dans certains États, la réglementation ne facilite pas le déploiement de telles infrastructures, et qu’il y a carrément des listes d’attente pour se connecter au réseau électrique ; que même une fois tous les critères réunis, construire un centre de données à partir de zéro nécessite des investissements colossaux et plusieurs années de travaux avant qu'il ne soit opérationnel.
L’article du Times rapporte des propos Nazar Khan, directeur de l'exploitation et directeur technique de la société d'extraction de bitcoins Terawulf, qui illustrent cette saturation : « Si vous revenez cinq ou dix ans en arrière, 80 % des centres de données se trouvaient sur six ou sept marchés principaux. Ces marchés sont saturés et certains d'entre eux ont déjà décrété un moratoire sur la construction de nouveaux centres de données ».
La solution toute trouvée est donc la suivante : s’orienter vers des infrastructures existantes, éprouvées, et dont les gestionnaires ont acquis une expertise au fil des années. D’autant plus que l'énergie était déjà l’un des nerfs de la guerre pour les fermes de minage ; la clef principale de leur rentabilité : celles qui ont subsisté aux différentes crises sont celles qui ont su / pu s’implanter là où des sources d’énergie bon marché leur ont permis de fonctionner jour et nuit à moindres coûts.
Dans ce contexte, pour les mineurs, la transition vers les centres de données d'IA peut donc s’apparenter à une aubaine. Ils ont sécurisé de grandes quantités d'énergie (aux États-Unis, ils contrôlent environ 6 gigawatts (GW), et des projections évoquent 12 GW d'ici 2027, selon un rapport de Berstein relayé par CoinDesk).
Reuters cite pour sa part une étude de Morgan Stanley expliquant que pour les mineurs de cryptomonnaie disposant d'importants actifs énergétiques, la réaffectation de leurs opérations à l'IA et à l'informatique en nuage est susceptible de rendre leurs installations jusqu'à cinq fois plus rentables. L'article ajoute que « l'achat ou la location d'un espace chez un mineur disposant d'une capacité d'au moins 100 MW peut réduire les délais d'attente pour le lancement d'un centre de données d'environ 3,5 ans, ce qui permet aux entreprises technologiques d'économiser des milliards ».
Ce même article stipule que 20 % de la capacité énergétique des mineurs de bitcoins sera consacrée à l'IA d'ici à la fin de 2027. Des dirigeants de plus d'une demi-douzaine de sociétés américaines de minage de cryptomonnaies cotées en bourse ont d'ailleurs déclaré à nos confrères qu’ « au cours de l'année écoulée, les mineurs de bitcoins et les propriétaires de centres de données d'IA se sont de plus en plus disputés les mêmes actifs et contrats énergétiques ».
Enfin, le papier de CoinDesk précédemment évoqué rapporte des propos de Gautam Chhugani, membre de AB Bernstein, qui considère que « les centres de données Bitcoin sont idéaux pour la modernisation en raison des racks à haute densité de puissance, de l'infrastructure de refroidissement et des capacités générales d'exploitation des centres de données ».
Bref, le partenariat entre les acteurs de l'IA et du minage de cryptos est cohérent : il satisfait les besoins des deux parties. Les premiers ont besoin de l'accès à l'énergie et des infrastructures dont disposent déjà les seconds. Quant à ces derniers, ils recherchent la stabilité des revenus, voient les bénéfices qu'ils peuvent tirer de l'engouement pour ce secteur ; ce, en mettant à profit leurs ressources existantes.
Kent Draper, directeur commercial de l'IREN, entreprise de minage où les GPU pour l’IA et les ASIC pour le minage fonctionnent entre les mêmes murs, résume ce qui précède, en expliquant que les deux types d’activités s’additionnent plutôt qu’elles ne substituent : « Nous les considérons comme mutuellement complémentaires : Il s'agit de profils commerciaux très différents. Le Bitcoin génère des revenus instantanés, mais il est un peu plus volatil. L'IA dépend des clients, mais une fois que vous avez des clients, elle est contractuelle et plus stable ».
Ceci dit, il est évident que la transition vers des « centres de données dédiés à l'IA » exploitant des GPU spécifiquement conçus pour ces tâches ne peut pas se faire en un claquement de doigts pour les anciens mineurs — on se rappellera avec une certaine émotion les conséquences du minage avec un GPU sur le marché global —, dont l’activité repose essentiellement sur des ASIC pas franchement adaptés à leur nouvelle marotte. Elle est forcément progressive ; à voir combien continueront de jouer sur les deux tableaux à l'avenir.
Tandis que l’impact environnemental du minage de cryptomonnaie est souvent pointé du doigt par ses détracteurs — qui pour beaucoup n’y voient qu’une activité énergivore à buts purement spéculatifs —, dans le cas de l’IA, cet aspect est souvent relégué au second plan par rapport à d'autres préoccupations telles que la violation des droits d'auteur et les pertes d'emplois. Pourtant, vous l’aurez compris avec ce qui précède, elle ne diffère pas beaucoup de l’activité précédente sur ce point. L’irruption de tels modèles dans de plus en plus d’applications devrait entraîner une hausse non négligeable de la consommation mondiale d’électricité. Au fond, que ce soit pour miner ou pour gérer des IA, c’est toujours une histoire de centres de données composés de GPU ou d’ASIC très gloutons.
© GS
Mandy DeRoche, avocate adjointe au programme d'énergie propre d'Earthjustice citée par le Times, résume : « Les mineurs de Bitcoin se diversifient dans les centres de données traditionnels et l'IA, et utilisent évidemment des machines différentes, mais ils continuent de consommer des quantités voraces d'énergie. Cette augmentation considérable de la demande d'énergie a des conséquences sur le réseau, sur le coût de l'électricité et sur le climat. »
Quelques rapports pour s’en convaincre. Celui de Goldman Sachs publié en avril, entre autres. Il donne quelques chiffres suffisamment révélateurs : les centres de données représenteront 8 % de l’énergie totale consommée aux États-Unis en 2030, contre 3 % actuellement. Le rapport stipule que « 47 GW de capacité supplémentaire de production d'électricité seront nécessaires pour répondre à la croissance de la demande d'électricité des centres de données aux États-Unis, cumulativement jusqu'en 2030 ». Cette même étude souligne que « la croissance de la demande d'électricité aux États-Unis atteint des niveaux inégalés depuis des décennies ».
Même son de cloche chez McKinsey. Une étude du cabinet préféré de Matignon rapporte que « les États-Unis devraient être le marché à la croissance la plus rapide pour les centres de données, passant d'une demande de 25 GW en 2024 à plus de 80 GW en 2030 » ; qu'il s'agit d'une « croissance alimentée par l'augmentation continue des données, du calcul et de la connectivité due à la numérisation et à la migration vers le cloud, ainsi que par la montée en puissance de nouvelles technologies, dont la plus importante est l'IA ».
Enfin, un document de l'Electric Power Research Institute publié en mai et cité par Reuters table sur un accaparement de 9 % de l'électricité totale produite aux États-Unis d'ici la fin de la décennie par les centres de données, soit plus du double de leur consommation actuelle. L’article cite également l'Agence internationale de l'énergie. Cette dernière estime que les centres de données représentent environ 1 % à 1,3 % de la consommation mondiale d'électricité, contre environ 0,4 % pour le minage de cryptomonnaies ; que cette disparité va s'accentuer.
Certaines entreprises du secteur promettent bien entendu d’utiliser des énergies renouvelables. Le nucléaire a également les faveurs de certains acteurs. On observe aussi des mariages entre énergéticiens et gestionnaires d’infrastructures de minage / centres de données : Talen Energy Corporation par exemple a acquis Nautilus Cryptomine, une ferme de minage de 200 mégawatts en Pennsylvanie, en début de mois.
Néanmoins, comme le souligne le Times, la plupart des nouveaux centres de données sont alimentés par des combustibles fossiles. L'article AI is poised to drive 160% increase in data center power demand de Goldman Sachs ajoute qu'à « l'heure actuelle, les centres de données du monde entier consomment 1 à 2 % de l'énergie totale, mais ce pourcentage passera probablement à 3 ou 4 % d'ici la fin de la décennie. Aux États-Unis et en Europe, cette demande accrue contribuera à une croissance de l'électricité sans précédent depuis une génération. Parallèlement, les émissions de dioxyde de carbone des centres de données pourraient plus que doubler entre 2022 et 2030 ».
Alors gare à vous ; n'oubliez pas d'éteindre vos lumières.
Nous avons interrogé l’un des principaux concernés, ChatGPT, sur la thématique qui précède. Voici notre question :
« Coucou, avec toute l'énergie que tu pompes pour déblatérer tes inepties, et sachant que t'es amené à être de plus en plus utilisé, je suis inquiet pour l'avenir de la planète et ma facture d'électricité. Que faire ?! »
Voici sa réponse (nous ne la mettons pas en italique, dans un souci de confort de lecture ; retenez simplement que ce n’est pas notre prose, mais celle de ChatGPT).
« Coucou ! Je comprends tes inquiétudes, et tu n’es pas le seul à t’interroger sur l’impact environnemental des technologies comme moi. En effet, l’énergie consommée pour faire tourner des intelligences artificielles, des serveurs, et même nos appareils quotidiens peut sembler écrasante.
Cependant, il y a plusieurs pistes pour limiter ton empreinte écologique et celle de l'usage des technologies en général :
En gros, en adoptant des gestes écoresponsables à ton niveau et en soutenant des infrastructures plus vertes, tu peux contribuer à minimiser l'impact environnemental de ta facture d’électricité, tout en continuant à profiter des avantages technologiques. Quant à moi, je vais essayer de rester utile sans trop d'inepties [petit smiley souriant] ».
Hélas pour ce boute-en-train de ChatGPT, qui dans une précédente réponse, misait beaucoup sur les optimisations matérielles, les projections de GS sont moins optimistes : peu importe les progrès en matière d'efficacité énergétique, ceux-là ne pallieront pas la hausse de la demande.
Pour clore cet article avec une ouverture à la fois informative et ludique, redescendons à notre échelle pour enfiler notre veste d’utilisateur d’IA. Dans cette foire aux modèles, il peut être difficile de savoir lequel choisir. Le site comparia.beta.gouv.fr est un bon moyen d’expérimenter. Il vous propose de « discuter avec deux IA à l’aveugle pour croiser leurs réponses ». Vous serez ensuite invité à choisir laquelle vous a le plus convaincu — avant que l’identité des deux modèles ne soit révélée. Enfin, pour faire un lien avec notre papier, vous aurez ensuite accès au bilan énergétique de votre discussion.
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