La communication sans-fil à la lumière du Li-Fi, c'en est où en 2024 ? |
————— 05 Octobre 2024 à 16h45 —— 41432 vues
La communication sans-fil à la lumière du Li-Fi, c'en est où en 2024 ? |
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Le Li-Fi, ça vous dit quelque chose ? Si vous avez oublié la techno, notre profanation illustrant notre dernier article consacré à celle-ci vous a certainement davantage marqué l’esprit (inspirée par une vague ressemblance avec le nom d'une enseigne de distribution qui, à l’instar de LDLC, trahit l’identité de son fondateur, en l’occurrence Ginestet Philippe).
Ceci-dit, le nom Li-Fi est surtout calqué sur celui d’un autre protocole de communication sans-fil, le Wi-Fi, lequel singeait déjà le Hi-Fi ; mais n’y voyez aucune volonté de supplantation. Nous n’avons plus rien écrit à propos du Li-Fi depuis janvier 2019 ; il est donc temps d’y remédier, d'autant que sa situation a un peu évolué.
Un flux de lumière et de bits © Iberdrola
Qu’il soit question de Hi-Fi, de Wi-Fi ou de Li-Fi, c’est systématiquement une histoire de fidélité : dans l’acception courante, Hi-Fi signifie High Fidelity, Wi-Fi plutôt Wireless Fidelity et Li-Fi carrément Light Fidelity. Par light, ne filez pas la métaphore pour comprendre frivolité ou infériorité, mais prosaïquement lumière : le Li-Fi désigne un moyen de communication sans fil basé sur la lumière (lumière visible, à des longueurs d'onde comprises entre 480 nm et 650 nm, ou lumière infrarouge, soit de 780 nm à 1 mm, rappelle la page Wikipedia).
Le premier standard Li-Fi remonte officiellement à 2011 ; soit bien après les débuts du Wi-Fi (1997). Les prémices de cette techno (sous sa forme actuelle ; communiquer grâce à la lumière est vieux comme l'humanité) se situent néanmoins vers le début des années 2000 ; elles ont suivi le développement des diodes électroluminescentes (les LED / DEL). La dernière version, la 802.11bb, remonte à 2023. Elle a grande partie mis l’accent sur l’interopérabilité avec le Wi-Fi.
Sur le papier, le principe de fonctionnement est simple à comprendre. À l’instar d’autres technologiques optiques, le Li-Fi transmet des données via des signaux lumineux. Voici la manière dont Oledcomm, une société française, spinoff de l’université Paris-Saclay, résume cette transmission : « La transmission de données se fait par la modulation, invisible à l’œil nu, d’un signal lumineux émis par des LED. Le signal circule entre un dispositif émetteur (Access Point ou Antenne répéteur) équipé d’ampoules LED (c’est prosaïquement un routeur Li-Fi relié au réseau Internet par un câble Ethernet RJ45 avec capacité PoE), et un récepteur (Dongle) branché sur les appareils connectés. »
Voici deux illustrations. L'une émane du Li-Fi Group (Lifi.co) ; l'autre, plus aride, mais valable pour sa mise en situation, est tirée de l'étude Performance Analysis of Optical Channel Multiplexing System on Indoor Light Fidelity (Li-Fi).
Ouais, c'est un plafonnier quoi. Nous avons tout compris, et vous ?
Pour faire une analogie, la société susmentionnée parle d’un « code Morse optique ». Concernant la modulation, la capacité des LED de s'allumer et de s'éteindre plusieurs millions de fois par seconde (plus de 10 millions de fois par seconde dans le cas du Li-Fi) la rend imperceptible à l’œil humain.
Par ailleurs, en 2024, l’utilisation d’un récepteur externe reste nécessaire pour la majorité des appareils, par exemple via une coque pour tablettes ; en dépit du fait que les acteurs du marché plaident en faveur de capteurs permettant d’intégrer la technologie Li-Fi nativement au sein d'appareils. Dans les faits, un premier smartphone Li-Fi avait été présenté au CES 2014, mais la greffe n’a clairement pas pris. Elle pourrait toutefois finir par germer au cours de la décennie en cours.
Voici une vidéo de présentation proposée par Oledcomm (soyez prévenus, vous allez souvent lire ce nom dans cette publication, garantie non sponsorisée) :
En théorie, cette techno peut atteindre jusqu’à 224 Gbit/s. En pratique, c’est carrément moins. Puis comme toujours, tout dépend du matériel. Un article de Lifi.co précise ainsi que des « des débits de 3,5 gigaoctets (Go) par seconde avec une seule LED bleue ou de 1,7 gigaoctets (Go) par seconde avec une lumière blanche ont été démontrés par des chercheurs ». En pratique, pour ses solutions Li-Fi commercialisées, Oledcomm parlent de débits maximums de 5 Gbit/s.
Tel que rapporté en début d’article, le Li-Fi n’est désormais plus présenté comme un remplaçant du Wi-Fi ; plutôt comme complémentaire de ce dernier.
En témoigne la déclaration de Richard Webb, directeur de l'infrastructure réseau au cabinet d'analyse CCS Insights, faite à l’occasion de la présentation de la norme IEEE 802.11bb. Il la définit comme « une étape importante pour la technologie Li-Fi, qui se positionne comme une technologie complémentaire et intégrée à côté de la norme Wi-Fi, qui connaît un grand succès. Cela ouvre de nouvelles perspectives passionnantes pour le Li-Fi, qui peut fonctionner en toute transparence avec le Wi-Fi et améliorer les communications dans toute une série d'applications, de l'accès internet sécurisé à haut débit à la maison et au bureau à l'extension des expériences de la prochaine génération à des marchés plus vastes tels que le XR [réalité étendue] et l'informatique spatiale ».
Ceci dit, sur tous les sites que nous avons parcourus, nous retrouvons une opposition claire Wi-Fi vs Li-Fi. Mais cette opposition est davantage à considérer comme le moyen de souligner une complémentarité plutôt qu’une rivalité.
La première différence a bien sûr trait aux interférences. Du fait de l’utilisation d’ondes radio, le Wi-Fi y est d’avantage sensible. Pour nuancer, Lifi.co souligne tout de tout de même que les photodiodes restent également sujettes aux interférences extérieures puisque susceptibles de capter la lumière provenant de sources concurrentes, telles que la lumière du soleil ou d'autres formes d'éclairage ; avec pour effet de perturber le réseau. Un filtre optique installé sur les photodiode peut toutefois atténuer ce phénomène.
Le Wi-Fi, c'est tellement nul © PureLifi
Par ailleurs, la propagation d'ondes radio est perméable au taux d'humidité. À ce titre, le site Lifi.co souligne que le Wi-Fi ne passe pas à travers l'eau de mer, contrairement au Li-Fi. Cela n'est pas dramatique à l'échelle de votre salle de bain ; un peu plus dans un contexte industriel.
En matière d’accès et de sécurité, la portée d’un réseau Wi-Fi (WLAN 802.11b/11g) est d’environ une trentaine de mètres, contre une dizaine pour le Li-Fi. Surtout, c’est un avantage ou un inconvénient selon l’utilisation, mais contrairement au Li-Fi, le Wi-Fi n’est pas bloqué par un mur ou un obstacle. Le cloisonnement des données dans la zone de diffusion stricte offre certains gages de sécurité. En revanche, l'utilisation des systèmes Li-Fi implique généralement que les utilisateurs soient immobiles en raison de la portée limitée du signal. Pour y remédie, Lifi.co rappelle que rien n'empêche d'installer plusieurs systèmes Li-Fi afin de couvrir de grands espaces.
Le fameux voisin hackeur... © PureLifi
Fallait pas prendre ça à cœur, voisin hackeur © PureLifi
Ajoutons à cela trois autres aspects évoqués par Oledcomm (entreprise forcément partiale). Le premier a trait à la santé, et devrait convaincre ceux qui se méfient des ondes radio. Pour le Li-Fi, Oledcomm parle d’un système de transmission de données non-nocif. La société souligne que « bien qu’encore indéfini, l’impact d’une exposition quasi-permanente aux ondes radio sur le cerveau et sur le développement de maladies inquiète ».
Le second point, mis en avant pas bon nombre d'autres parties, concerne l’économie d’énergie. Grâce aux ampoules LED, le Li-Fi serait jusqu’à 50 % moins énergivore qu’un système Wi-Fi à base de routeurs, modems, répéteurs, allègue Oledcomm. Nous ne pouvons confirmer ou infirmer cette estimation de 50 %, mais plusieurs études sur le sujet, dont celle titrée Performance and Environmental Impacts Review of Li-Fi and Wi-Fi Technologies datée d’octobre 2018, mettent en avant plusieurs bénéfices du Li-Fi par rapport au Wi-Fi en matière de consommation.
Enfin, le troisième argument est une « couverture uniforme et sans latence même lorsque plusieurs utilisateurs sont connectés simultanément ». Le site PureLifi allègue carrément que la latence est réduite par un facteur trois. Là encore, cette assertion reste sujette à caution. Nous n’avons pas trouvé d’études précises mesurant la latence. Le cas échéant, il faudrait s’assurer que les mesures impliquent les mêmes contraintes spatiales entre dispositifs Li-Fi et Wi-Fi.
Maintenant que vous avez lu tout ce qui précède, vous comprenez certainement où les promoteurs du Li-Fi souhaitent aller. Oledcomm résume cette visée mieux que nous le ferions : « À terme, on peut imaginer que le Li-Fi sera privilégié au Wi-Fi partout où les ondes radio ne sont pas désirables, que ce soit pour des raisons de santé ou d’interférences, qu’il se développera dans les secteurs les plus exigeants en matière de sécurité des données comme la défense et les gouvernements, et qu’il fera partie intégrante, au même titre que d’autres technologies complémentaires, du paysage numérique de demain » ; le « Li-Fi pour pallier les limites des technologies classiques » en somme.
Les principaux cas d’usage du Li-Fi sont bien explicités sur plusieurs sites. Ce protocole cible les secteurs de la défense & sécurité ainsi que de l’industrie & transport, l’aérospatial, l’éducation, les espaces hautement sécurisés, l’IoT et les villes intelligentes. Nous n'allons naturellement pas tous les détailler. Si vous souhaitez approfondir certaines perspectives, vous trouverez différents articles chez les sources que nous avons utilisées. Pour les villes intelligentes par exemple, Lifi.co propose un développement titré Integrating LiFi: Challenges and Opportunities in Developing Smart Cities assez complet, quoique assez théorique.
Nous ne nous attarderons pas non plus sur la cybersécurité dans un contexte militaire. Nous ne vous apprendrons rien, les systèmes basés sur des ondes radiofréquences, tels que le Wi-Fi, la 4G / 5G, présentent plusieurs inconvénients et exposent à des risques. Quant aux solutions câblées traditionnelles, elles s’adaptent difficilement à la mobilité des troupes. Le Li-Fi se présente ainsi comme une alternative. Citons le contrat décroché par Pure LiFi en 2021 autour du déploiement de la solution Kitefin pour l'armée Américaine en Europe et en Afrique.
La version anglaise du site d’Oledcomm expose plusieurs articles mettant en avant les bénéficies du Li-Fi en matière de réseaux sécurisés mais surtout d’applications militaires (l’un allant un peu avec l’autre…). La version française est moins va-t-en-guerre ; elle se focalise davantage sur des débouchés industriels, aérospatiaux mais aussi civils. Voici donc quelques applications concrètes du Li-Fi dans ces domaines.
Déjà, sachez qu’après une première expérimentation dans un TGV en 2014, Oledcomm s’est associée à l'équipementier aéronautique Latécoère, à Air France, ainsi qu’à Ubisoft, afin de réaliser le tout premier vol commercial avec Li-Fi (un vol commercial AF6114 effectué en Airbus A321 au départ de Paris-Orly et à destination de Toulouse) en 2019.
Concrètement, le projet a a consisté en l’installation d’une infrastructure Li-Fi Latécoère sur 12 sièges ; des joueurs, finalistes du « Air France Trackmania Cup » développé par Ubisoft, se sont affrontés en plein vol.
Air France comme Oledcomm évoquent le bénéfice qu'il y a à remplacer les câbles en cuivre blindés de l'équipement Wi-Fi (le blindage sert à éviter les interférences des ondes radio émises par le Wi-Fi avec d'autres équipements électroniques dans l'avion) par une infrastructure Li-Fi à base de fibre optique. Oledcomm prétend que cette transformation, qui n'implique pas de « repenser tout l'aménagement de l'avion », peut « réduire de moitié le poids du système de divertissement à bord ». Pour chiffrer, la société renseigne 1,3 tonne pour le réseau Wi-Fi de l’appareil.
Pour contextualiser, précisons qu’un Airbus A321 a tout de même une masse de 48 tonnes à vide. Avec tout son chargement, il peut peser jusqu’à 89 tonnes au décollage. Nous ne sommes pas en mesure d'effectuer les calculs, mais à première vue, une réduction de 650 kg ne représente pas non plus un allègement susceptible de réduire drastiquement la consommation de carburant et d’induire « d'importantes économies d'énergie et de budget pour les compagnies aériennes » comme le stipule l’article d’Oledcomm. Du moins sur un vol ; sur les milliers de vols qu’accomplit un tel avion durant son exploitation, les économies réalisées par les compagnies ne seraient peut-être plus du tout aussi marginales que nous le supposons.
Pour rester dans les hautes sphères, Oledcomm a testé sa technologie Li-Fi via son module SatelLife dans le nanosatellite INSPIRE-SAT 7. Ce dernier a été lancé en orbite basse le 15 avril 2023.
Les considérations relatives à l’allègement sont nettement plus parlantes ici : la société stipule que « les câbles blindés traditionnels peuvent peser jusqu'à 65 kilogrammes », mais que son module ne pèse que 83 grammes. Bon, dans un article plus récent qui présente le Li-fi comme le futur de la connectivité spatiale, l’entreprise est moins grandiloquante : elle parle d’une réduction de quelques kilos : « En remplaçant les câbles data traditionnels par une installation LiFi, vous pouvez économiser jusqu'à 3 kg sur un satellite de type LEO » (LEO est l’acronyme anglais d’OTB, Orbite terrestre basse). Or, pour une mise en orbite, chaque kilogramme nécessite 50 kg de kérosène.
Quoi qu'il en soit, Oledcomm insiste sur l’absence d’interférences électromagnétiques, lesquelles sont suceptibles de perturber les équipements à bord des satellites. De plus, dans l’espace, le Li-Fi permet une connexion sans fil de 2 Gbit/s jusqu’à 1 km de distance. Le tout à travers un signal limité à son cône lumineux. Enfin, si l’entreprise pense que le Li-Fi est une option pour remplacer plusieurs câbles d’un satellite, elle y voit aussi une méthode de communication entre deux appareils proches à des fins de rencontre.
Plus récemment, en juillet 2024, Ariane 6, le lanceur de l’ESA, a quitté la Terre avec un module Li-Fi à son bord (toujours fourni par Oledcomm). L’article de l’Agence spatiale européenne expliquait avant le lancement que « le système LIFI de 40 x 60 x 16 mm se compose de deux modules "SatelLiFe" distants de 80 cm, installés sous la coiffe de la fusée, qui communiqueront par Li-Fi. Dès le décollage, ils échangeront des données, ce qui permettra à l'équipe d'étudier les performances de la communication et de s'assurer que le système est suffisamment robuste pour résister aux contraintes du lancement ».
Cette source ajoutait que le Li-Fi « pourrait simplifier le processus d'intégration des charges utiles sur Ariane 6 car, à l'avenir, la technologie Li-Fi pourrait être utilisée pour communiquer entre les pièces de la fusée au lieu de câbles, ce qui réduirait la masse à bord et donc la quantité de carburant nécessaire, avec un impact potentiel sur l'empreinte carbone associée ».
Retour sur le plancher des vaches, avec une solution LiFiMAXEducation deployée au sein du lycée Palissy en 2020. Elle a fait de l’établissement le premier Lycée de France équipé en Li-Fi.
Nous n’avons pas trouvé beaucoup d’informations à ce sujet, mais pour rester dans le cadre scolaire, l'école maternelle Chantefleur à L'Isle-Adam a elle aussi pu profiter du Li-Fi à la rentrée 2022. Et si la pertinence du déploiement du Li-Fi dans un lycée ne saute pas aux yeux de prime abord, elle l’est nettement plus auprès d’un public de bambins. En effet, la réglementation en matière de Wi-Fi est plus stricte pour ces derniers que pour les juvéniles un peu plus âgés.
La loi Abeille (appellation qui n'a rien à voir avec les insectes butineurs, mais seulement avec la députée Laurence Abeille), promulguée en 2015, a en effet encadré l'utilisation du Wi-fi dans les espaces réservés à l'accueil, au repos et aux activités au sein des établissements accueillant des jeunes enfants ; le système Li-Fi de cette école s’inscrit dans cette démarche de réduction de l’exposition aux ondes radio. La vidéo de présentation, forcément orientée puisque présentée par Oledcomm, donne quand-même une idée du système et de la démarche. Nous avons contacté l’établissement afin d’avoir un retour d’expérience deux années plus tard, mais n’avons pas eu de réponse au moment où nous publions.
Quoi qu'il en soit, en 2024, le Li-Fi reste assez discret. Le cabinet Mordor Intelligence, à la tête duquel officie Sauron, estime à 1,72 milliard de dollars américains le marché des produits basés sur la technologie Li-Fi à travers le monde. Mais il anticipe un CAGR (Compound annual growth rate ; taux de croissance annuel composé) de 63 % pour la période 2024-2029.
Vous n’êtes certainement plus très nombreux à avoir tenu jusqu’ici. Pour les quelques courageux et/ou fous furieux toujours présents, la lumière (du jour rassurez-vous, pas celle du Li-Fi) est au bout de ce paragraphe. Vous l’aurez compris, avec les quelques exemples données ci-dessus, le Li-Fi n’a nullement vocation à supplanter le Wi-Fi dans le foyer de Monsieur et Madame Martin comme le suggèrent les illustrations de PureLifi. En raison de ses caractéristiques propres, il a en revanche les armes pour percer dans des applications où les ondes radio ne sont pas les bienvenues, que ce soit pour des raisons purement physiques, mais aussi réglementaires ou sécuritaires.
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